Dans la dernière phrase de l'éditorial à la une du Monde daté 28 février 2014, sont évoqués, en conclusion du propos titré "Pourquoi la France doit être soutenue en Centrafrique", les risques qu'impliquerait un isolement de notre pays dans son intervention en RCA :
"En laissant la France seule, la communauté internationale, et l'Europe en particulier, encourage le risque d'une déstabilisation régionale accrue, avec, pour conséquences, l'immigration illégale et le terrorisme."
Je souhaite ici attirer l'attention sur deux contresens qui entachent cette affirmation, particulièrement graves dans un écrit aussi valorisé que l'éditorial d'un "journal de référence". Il s'agit de l'usage, là doublement fautif, de l'expression "immigration illégale".
Le premier mésusage tient à la juxtaposition de ces mots avec celui de "terrorisme", les deux étant présentés comme les conséquences - dramatiques, on l'entend bien - du risque de la déstabilisation régionale. Une immigration illégale n'est pourtant, par définition, que la situation résultant de l'inobservation, par une personne qui n'a pas la nationalité du pays, des conditions légales autorisant éventuellement l'immigration. Le rapport avec le terrorisme me parait particulièrement ténu.. Mais cette assimilation est de l'ordre de l'évidence dans les milieux xénophobes : il est de très mauvais augure que l'éditorialiste du Monde use d'un tel amalgame, et le valide par là même.
Le second mésusage réside dans le fait de réduire à une "immigration illégale" (et donc délictueuse, et, ici, dangereuse) la nécessité de fuir dans laquelle se trouvent les hommes et les femmes (et les enfants) victimes des violences, sévices, et persécutions qui marquent la déstabilisation de ces régions. N'oublions pas, en outre, que ces migrations s'effectuent principalement en direction des pays voisins. En tout état de cause, de telle migrations de survie ne sont-elles pas susceptibles de relever de demandes de protection, d'asile, dans une contrée moins dangereuse? Le droit d'asile n'est-il pas reconnu par la convention de Genève de 1951 sur les réfugiés ? Comment ceux qui sont dans une telle situation pourraient-ils faire valoir leurs droits s'ils sont a priori considérés comme des "immigrants illégaux" ? Mais cette question n'a même pas à être posée, puisque, par exemple, l'agence intergouvernementale "Frontex", comme les prétendus "partenariats pour la mobilité", représentent des moyens pour, d'abord, empêcher les départs, ensuite refouler les arrivants. Et le dépôt d'une demande d'asile est ainsi réservé à ceux qui auraient réussi à passer quand même..
Dans un climat de plus en plus nauséabond où la xénophobie est devenue une banalité, quelques précautions de langage auraient été bienvenues à la une du Monde.
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