Une pétition circule en ce moment sur le net, titrée "Guérison défendue - les remèdes naturels que l'Union Européenne et les multinationales pharmaceutiques veulent vous interdire" (1).
Le titre, provocateur, m'a fait regarder de plus près ce dont il s'agit, d'autant plus que j'ai reçu de plusieurs amis et connaissances des invitations à signer cette pétition, et que j'ai été attristé de constater leur absence de sens critique.
Mais, comme toujours, s'il est aisé de rédiger un message alarmiste en caricaturant les faits, il est particulièrement compliqué de rétablir l'exactitude de ce dont il s'agit. Et, compte tenu du tort à la cause des médecines alternatives que pourrait causer un texte aussi excessif, approximatif voire erroné, j'ai souhaité apporter quelques précisions.
UNE FORME QUI DOIT EVEILLER DES DOUTES
D'abord, sur la forme de la pétition :
- Aucune validation des signatures n'est effectuée (il est d'usage, après signature d'une pétition, de recevoir un mail à l'adresse indiquée avec un lien vers une URL, pour valider la signature : cela permet d'éviter des fausses adresses e-mail, des robots, etc). Ce qui signifie que je peux signer cent fois avec cent noms inventés et adresses mail bidon… Cela signifie aussi que n'importe qui peut signer en utilisant mon nom et mon adresse mail (ou votre nom ou votre adresse mail…).
- Le site internet de la pétition est totalement anonyme : pas de "Qui sommes nous", aucune mention légale. Seule indication : l'auteur serait un "Collectif pour la Défense de la Médecine Naturelle", qui serait basé à Bruxelles, dont on ne sait pas qui le compose ; c'est typiquement une structure totalement indéfinie, telle que n'importe qui peut en inventer. Une recherche sur internet ne renvoie d'ailleurs qu'à la pétition, à des sites qui y renvoient, ou à des pages déplacées ou inexistantes.
UN TEXTE PROBLEMATIQUE
Quant au texte de la pétition (2), dès la première phrase, on bloque :
"Venant d'apprendre avec stupeur le projet Européen concernant l'interdiction des plantes médicinales, je m'insurge quant à cette violation primaire aux droits humains"...
D'abord, ce n'est pas un "projet Européen", c'est une directive (n° 2004/24/CE), qui est entrée en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l'Union européenne (3).
Ensuite, on ne "vient pas d'apprendre" l'existence d'une directive… du 31 mars 2004 !
Mais surtout, cette directive ne concerne pas "l'interdiction des plantes médicinales" (!), elle modifie, en ce qui concerne les médicaments traditionnels à base de plantes, la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain.
En substance, cette directive modificatrice introduit un régime d'autorisation allégé (enregistrement) pour les médicaments à base de plantes qui peuvent être qualifiés de "médicaments traditionnels à base de plantes". Pour autant, dans certains cas, un médicament traditionnel à base de plantes peut relever du régime normal plus contraignant de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), comme tous les médicaments, ou du régime de l'enregistrement de médicament homéopathique.
Il ne s'agit donc absolument pas d'interdire les plantes médicinales !
Quant à en faire une "violation primaire aux droits humains", les victimes de tortures, de viols, d'assassinats, d'actes racistes, et autres violation des droits humains apprécieront la comparaison…
Dans le texte présenté en vidéo (4), il est question du 1er avril 2011 pour l'entrée en vigueur de cette "interdiction des plantes médicinales". Sauf que la directive en cause est entrée en vigueur… le 30 avril 2004, et les Etats membres devaient la transposer au plus tard le 30 octobre 2005 ! Bien évidemment, la France, comme toujours, est en retard de transposition (elle a même été condamnée, pour la non transposition de cette directive, par la Cour de justice, arrêt du 29 novembre 2007, affaire C-67/07). Affirmer que l'Europe veut interdire les plantes médicinales le 1er avril 2001 n'est ainsi qu'un mauvais.. poisson d'avril !
En revanche, il est exact qu'en France, et en l'absence d'enregistrement ou d'actualisation de l'AMM, selon le cas, la commercialisation de médicaments à base de plantes ne sera plus légalement possible à partir du 1er mai 2011 : cela découle des dispositions introduites dans le code de la santé publique par l'ordonnance n° 2007-613 du 26 avril 2007 (5) et par le décret n° 2008-436 du 6 mai 2008 (6). En application de ces textes, un calendrier de dépôt des demandes d'enregistrement ou d'actualisation de l'AMM, qui indiquait notamment une date limite au 28 février 2011 pour ces démarches, avait été publié au Journal officiel de la République française le 26 août 2008. On le voit, ces informations ne sont pas de toute première jeunesse !
QUESTIONS DE FOND
Enfin, sur le fond : on peut, pourquoi pas, refuser que les médicaments à base de plantes traditionnelles soient soumis à un contrôle relatif à leur innocuité (contrôles physico-chimiques, biologiques et microbiologiques) ; pour autant, une telle position pourrait être jugée paradoxale : on s'insurge bien des résidus de pesticides, et autres produits chimiques contenus dans notre alimentation : est-il anormal de contrôler les plantes médicinales ?
Et le fait que les allégations de santé puissent être, sinon contrôlées par de lourds essais cliniques, du moins étayées par des informations relatives à leur usage traditionnel, n'est-ce pas un minimum nécessaire à la sécurité du consommateur ?
On peut, bien évidemment, en discuter, et craindre - et de telles craintes ne me paraissent pas totalement infondées, compte tenu des intérêts économiques en jeu - que cela ne favorise l'industrie des médicaments conventionnels en rendant plus difficile la commercialisation des médicaments à base de plantes traditionnelles (à ne pas confondre, toutefois, avec la commercialisation des plantes elles-mêmes). L'industrie - car c'en est une, aussi - des médicaments à base de plantes peut regretter d'être soumise à de nouvelles contraintes réglementaires, et préférer sa liberté de vendre sans contrôles ; on peut penser qu'il en va de même pour les importateurs de telles plantes ; le producteur de plantes médicinales peut craindre que les industriels qui lui achètent ses produits fassent preuve, de ce fait, de nouvelles exigences commerciales. La vente directe, au consommateur, de plantes médicinales en vrac paraît toutefois peu concernée, sous bénéfice d'inventaire.
Mais, en tout état de cause, il est vraiment regrettable que ces question n'aient pas été rendues publiques entre 2002 et 2004, période durant laquelle cette directive était à l'état de projet, et était discutée au Parlement européen et au Conseil (7).
Pour information : le Conseil (COREPER du 12.9.2003) a adopté sa position à l'unanimité (8), qui validait pour l'essentiel une proposition de la Commission, avec quelques modifications ; le Conseil a accepté certains amendements du Parlement, en a refusé d'autres.
A cette date, nous étions sous la présidence de Jacques Chirac, sous le 2e gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, et le ministre de la santé était Jean-François Mattei. C'est donc ce dernier qui représentait la France au Conseil à Bruxelles, et qui, avec ses homologues des autres Etats membres, a adopté la directive (en co-décision avec le Parlement européen). C'est à lui qu'il conviendrait de demander des comptes. Plus qu'à une abstraite "Europe" d'où viendraient tous les maux : trop facile !
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(1) http://www.defensemedecinenaturelle.eu/signerlapetition.php
(2) Grave : le texte de la pétition a été modifié, et de façon substantielle, entre le moment où je l'ai signé (le 17 mars) et ce jour !
Ainsi, les deux derniers paragraphes étaient primitivement rédigés ainsi :
"Il convient d’apporter en urgence des amendements à cette directive afin qu’elle prenne davantage en compte les préparations à base de plantes non-Européennes.
Je vous prie instamment d’exercer les pressions nécessaires au Parlement européen ainsi que sur la Direction générale de la santé et des consommateurs (DG SANCO) afin de présenter de tels amendements."
et le texte actuel est :
"Je vous prie donc instamment d’exercer les pressions nécessaires sur le Parlement européen, ainsi que sur la Direction générale de la santé et des consommateurs (DG SANCO), pour que soit présenté dans les meilleurs délais un nouveau texte reconnaissant les vertus thérapeutiques des préparations à base de plantes et accordant à chacun la liberté de choisir pour lui-même les thérapeutes et les traitements qui lui semblent les plus appropriés."
(3) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:136:0085:0090:FR:PDF
(4) La vidéo a été supprimée depuis, et remplacée par un texte de présentation moins caricatural et mieux documenté, qui fait état de doutes relatifs à l'aspect trop alarmiste du message. Est même proposé un lien vers un site critique : http://www.syndicat-simples.org/actualites/les-plantes-medicinales-bientot-interdites-dans-lue-propagande-desinformation-enjeux-de-pouvoirs-autour-de-herboristerie-en-europe ; malheureusement, cette note de Th.Thévenin est particulièrement indigeste, et très ambigüe.
(5) http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000018652169
(6) http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000018767987
(7) http://www.europarl.europa.eu/oeil/FindByProcnum.do?lang=1&procnum=COD/2002/0008
(8) http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/03/st12/st12754.fr03.pdf
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