A la une du Monde daté 9 octobre 2012, un titre accrocheur "Marseille, ses ripoux et ses baronnets" surmonte un court texte d'introduction à un article, en page 13, sur le scandale à la BAC de Marseille, et à un intéressante contribution "Marseille, victime de ses baronnets" du sociologue Jean Viard, en rubrique "Débats", page 20.
Cette introduction commence par les mots : "Violence, immigration, saleté, corruption…".
Ni le rédacteur anonyme de cette phrase, ni d'éventuels relecteurs - il s'agit tout de même de la première page d'un quotidien qui se veut de référence - n'ont été surpris de voir ainsi l'immigration placée rigoureusement sur le même plan que la violence, la saleté et la corruption.
C'est, d'abord, une terrible erreur de sens. Assimiler le fait migratoire à des comportements socialement ou culturellement négatifs, c'est affecter un jugement de valeur à une activité humaine qui a toujours existé parce qu'elle s'impose comme une nécessité à un moment donné de l'histoire d'un individu, d'une famille, ou d'un groupe.
Une généalogiste en énumère ainsi, dans un récent article (1), les causes : "La migration choisie répond à l'espoir d'un enrichissement économique, au souhait de rejoindre un être aimé ou, tout simplement, au désir de partir à l'aventure", et, plus loin, s'agissant cette fois des migrations subies : "A l'origine des migrations forcées, on peut identifier quatre types de causes : - les causes politiques et historiques, principalement à cause de guerres ou de convictions politiques ou religieuses ; les causes économiques et sociales, que l'on soit chassé par la misère ou déplacé dans le cadre d'obligations professionnelles ou militaires ; les causes naturelles, calamités et fléaux tels qu'épidémies, inondations, séismes ou incendies ; les causes familiales, tenant à des rivalités (avec le père, au sein de la fratrie, conflits d'héritage,..), à des amours contrariées ou interdites, ou alors au déshonneur provoqué par une grossesse illégitime, une condamnation judiciaire, une faillite."
Je me suis permis de citer ce long extrait, tant le panorama ainsi établi des migrations m'apparait utile et préalable à toute réflexion sur le sujet ; mais surtout parce que que le point de vue est ici déplacé : c'est nous - nos ancêtres, dans l'article cité - qui sommes les acteurs des migrations, et la notion de migration choisie ou subie prend un sens très différent de celle instrumentalisée à des fins politiques au bénéfice de partis xénophobes.
Pour en revenir à l'énumération à la une du Monde qui motive mon propos, cette dramatique facilité de langage constitue surtout une validation de la confusion entretenue à dessein par l'extrême-droite entre le phénomène migratoire et les grandes invasions guerrières subies dans l'histoire. C'est un laisser-aller dans la banalisation des thèses d'exclusion identitaires.
Et si la malheureuse juxtaposition de ces termes témoigne d'un aveuglement face à des détresses humaines souvent dramatiques, c'est aussi une insulte au courage, à l'inventivité, et à la volonté d'intégration, des migrants - que nos ancêtres ont peut-être été et que nous sommes susceptibles de devenir un jour…
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(1) "Les migrations : un vécu à suivre", Véronique Tison, in Revue française de généalogie, n° 201, août-septembre 2012, p. 21-22.
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