Savez-vous qu'existent en France des camps réservés au étrangers, les "Centres de rétention administrative" (CRA), et leurs petits frères cachés, les "Locaux de rétention administrative" (LRA) ?
Ce ne sont pas des prisons : il faut une décision de justice pour être mis en prison ; or les étrangers placés dans un CRA ou un LRA le sont sur une simple décision administrative, émanant de la préfecture.
Ils n'ont ni tué, ni volé, ni commis un délit quelconque attentant aux biens ou aux personnes. Simplement, ils ne sont pas en règle en regard d'une législation spéciale, le "Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile", le CESEDA. Cela suffit à leur arrestation puis leur enfermement, en vue de leur expulsion, voire de leur bannissement.
Peu importe qu'ils aient ici femme ou enfants, qu'ils travaillent, qu'ils suivent des études, qu'ils soient soignés pour une maladie dont ils risquent de mourir faute de pouvoir, dans leur pays d'origine, accéder aux soins nécessaires.
Certes, des régularisations sont possibles : il faut juste connaitre les conditions, disposer des papiers, des signatures, des tampons, aux bonnes dates, sur le nombre d'années suffisant, surtout sans interruption dans la série des preuves matérielles à fournir, fournir tous les originaux, d'obtenir des rendez-vous à des guichets lointains aux horaires variables,… il faut être capable de suivre un parcours inconnu, incompréhensible, semé d'obstacles infranchissables ; des exigences kafkaïennes qu'un français, parlant français, serait souvent incapable de satisfaire.
C'est qu'il s'agit de faire du chiffre, d'obéir servilement aux consignes ministérielles xénophobes - mais que fait donc la Cour de justice de la République ? - pour respecter les quotas annuels d'expulsion, hors de nos frontières, de citoyens originaires d'autres pays (28.000 en 2011).
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Je suis un peu réservé quant à la possibilité de publier ici mon témoignage personnel d'intervenant bénévole Cimade au LRA de Cergy, je n'ai même pas une année entière de recul. J'y viendrai peut-être plus tard.
En revanche, je tiens beaucoup à vous faire découvrir le "web documentaire" de Julie Chansel et Michaël Mitz, "La machine à expulser" (Bellota Films, avec la participation du CNC, de Canal+ et lemonde.fr), qui rend bien compte de cette réalité honteuse de l'enfermement et de l'expulsion d'étrangers, coupables seulement d'être en "situation irrégulière".
Ce webdocu est composé de sept séquences, de 7 à 8 minutes chacune (en cliquant sur le lien, vous accédez directement à ces modules), et d'un ensemble de ressources documentaires autour des thèmes évoqués :
Le système, et l'histoire de la rétention administrative en France (rappel : depuis 1939 et Rivesaltes, jusqu'à 2011 et l'hyper-camp du Mesnil Amelot, près de Roissy ; les exclus : les réfugiés de la guerre civile espagnole et les harkis, les juifs et les tziganes, et les milliers d'autres..)
L'accompagnement, et les questions que posent les interventions de la Cimade...
L'objectif de tout ça - où l'on peut légitimement s'effrayer.
Les quatre séquences suivantes ont trait à des étapes successives de l'enfermement :
La rupture : c'est l'interpellation, puis la rétention - la privation de liberté. Totale. Soudaine.
L'urgence. Le juge des libertés et de la détention, le recours au tribunal administratif (sous 48h !), le maintien en rétention..
La violence. La durée. La perte des repères, de l'espoir. Le quotidien dans le centre. La peur. L'échec.
L'absurde. L'expulsion, l'avion, ou la prison, ou la libération en situation toujours autant irrégulière - juste un peu plus encore.
"Avec ce web documentaire, nous avons voulu décrypter « la rétention administrative des personnes en situation irrégulière », interroger l'instrumentalisation de l'étranger, expliciter un acharnement administratif, expliquer des lois de plus en plus répressives, déconstruire un discours politique. Il s'agit pour nous de révéler l'absurdité d'un système et ses conséquences humaines dramatiques. Nous voulons inviter chacun à y réfléchir." (les auteurs)
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