Il est des "représentants du peuple" qui trouvent, dans des circonstances dramatiques, les mots propres à refléter le sentiment de la nation.
C'est ainsi que François de Rugy, député (Europe-Ecologie - Les Verts) a pu dire hier à l'Assemblée nationale combien le comportement des plus hautes autorités de notre pays était indécent face à la catastrophe qui touche le Japon.
Voici la vidéo de son intervention.
F. de Rugy sur le nucléaire : débat sur le... par fdr_webtv
Et comme tout le monde ne supporte pas forcément de devoir regarder une vidéo pour prendre connaissance d'une information, en voici le texte :
Débat préalable au conseil européen – mercredi 16 mars 2011
Intervention de François DE RUGY au nom des députés écologistes
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre d’Etat,
Chers collègues,
Lorsque ce débat préparatoire au prochain conseil des chefs d’Etat et de gouvernement des 27 pays de l’Union européenne a été organisé, l’actualité était dominée par la question du sauvetage des États les plus endettés comme la Grèce ou l’Irlande et par les révolutions en cours dans plusieurs pays arabes.
C’est donc bien légitimement que beaucoup d’entre nous avaient sans doute prévu d’intervenir principalement sur ces deux sujets, qui demeurent d’ailleurs importants pour l’Union européenne. On pourrait bien évidemment y ajouter le pacte de compétitivité que l’Allemagne tente d’imposer comme nouvelle doctrine européenne.
Sur ces questions, je dois dire d’ailleurs que notre jugement aurait été sévère. Sévère pour les représentants de l’Union européenne, sévère pour les gouvernements européens, à commencer par le gouvernement français.
Un soutien tardif et timoré aux peuples arabes qui se sont soulevés et se soulèvent encore ; aucune initiative forte, aucune proposition concrète, aucune coordination réelle des chefs d’Etats et de gouvernements qui ont tous voulu faire entendre une voix propre : L’Union européenne a été totalement absente de la scène internationale au fur et à mesure des révolutions dans le monde arabe. La France qui aurait pu, qui aurait dû jouer un rôle primordial du fait de ses liens forts et anciens avec ces peuples, la France a toujours été à contre-temps. Le comble ayant été atteint avec les pantalonnades de Mme Alliot-Marie, éphémère ministre des affaires étrangères. Mais au-delà de son comportement personnel condamnable, c’est bien la politique étrangère de la France qui a perdu toute crédibilité.
On aurait pu penser que votre nomination, M. Juppé, allait remettre de l’ordre, de la sérénité et de la détermination au Ministère des affaires étrangères. Hélas, le Président de la République ne vous aura même pas laissé deux semaines de répit avant de rechuter gravement en prônant de façon unilatérale et juste avant le dernier conseil européen une action militaire contre la Lybie.
En voulant faire un coup d’éclat davantage médiatique que diplomatique, il a une fois de plus décrédibilisé la France. Il avait déjà abaissé et pour tout dire déshonoré la France, en déroulant le tapis rouge au colonel Kadhafi il y a moins de trois ans. Il a achevé d’anéantir l’influence de la France par cette initiative solitaire et vaniteuse.
En tant qu’écologiste, je n’oublie pas qu’un des objets de cette humiliante visite du colonel Kadhafi était la fourniture à la Lybie d’une centrale nucléaire. Pour notre part, nous avions dénoncé à l’époque cette folie. Nous n’osons imaginer ce que signifierait aujourd’hui des bombardements sur un pays doté d’installations nucléaires, fussent-elles civiles.
Conseil européen après conseil européen, c’est un triste constat de faillite que nous faisons : faillite de la politique étrangère présidentielle et faillite des institutions européennes. L’une est d’ailleurs étroitement liée à l’autre puisque M. Sarkozy s’est acharné avec quelques uns de ses collègues chefs d’Etat et de gouvernement à affaiblir les représentants de l’Union européenne. Où sont M. Barroso et Van Rompuy ou Mme Ashton dans les crises que nous traversons. Le traité de Lisbonne, qui était déjà fort mal né, est décidément en train de faire la démonstration de son échec programmé.
Ce n’est heureusement pas une fatalité. C’est le résultat d’un choix politique : celui d’affaiblir les institutions de l’Union européenne. C’est particulièrement vrai dans l’attitude du président de la République : pris à son propre piège de privilégier systématiquement l’intergouvernemental, il se retrouve à être soumis à l’Allemagne comme cela a été le cas sur ce pacte de compétitivité, entièrement tourné vers les intérêts économiques de l’Allemagne et totalement inadapté aux besoins des peuples européens.
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Vous comprendrez que la situation dramatique du Japon nous oblige à redéfinir nos priorités politiques. A cet égard, on ne peut qu’espérer que le conseil européen ne restera pas non plus sans voix sur cette nouvelle crise, aux répercussions encore inconnues.
Nous tenons tout d’abord à redire ici dans cette enceinte de l’Assemblée nationale ce que nous répétons depuis cinq jours dans toutes nos interventions : nos pensées sont d’abord et avant tout des pensées de recueillement et de compassion pour le peuple japonais qui traverse de l’aveu unanime la pire des tragédies depuis les bombes atomiques de Nagaski et Hiroshima, à la fin de de la deuxième guerre mondiale.
Les écologistes s’expriment avec une émotion et une gravité inhabituelles sur cette situation. Depuis des décennies que nous alertons sur le risque nucléaire, risque incomparable à tous les autres, nous n’avons toujours eu qu’un seul souhait : que l’humanité puisse se défaire de ce risque sans qu’il y ait le moindre accident.
Il y a encore deux jours, nous espérions du fond du cœur que le Japon passe à côté d’une catastrophe nucléaire majeure. Nous savons aujourd’hui que la situation n’est plus maîtrisée et que le pire est à craindre. Nous le savons depuis toujours, et c’est la spécificité du nucléaire par rapport à toute autre activité industrielle, les êtres humains ne peuvent pas maîtriser l’évolution de réacteurs nucléaires qui ne sont plus sous contrôle.
Nous le savons depuis toujours, le risque que fait peser l’énergie nucléaire sur le territoire et les populations n’est pas de même nature que tout autre risque industriel puisque les conséquences sont de surcroît irréversible. La situation en Ukraine dans la région de Tchernobyl est là pour nous le rappeler.
La première de nos priorités est donc d’exprimer notre solidarité avec les Japonais. En disant cela, nous mesurons la difficulté de rendre concrète et opérationnelle cette solidarité. Même si le Premier ministre a parlé hier dans son intervention devant notre Assemblée, d’une coopération technologique, nous voyons mal quelle forme cela pourrait prendre, tellement nous sommes démunis face justement à une technologie que les Hommes ne peuvent plus maîtriser.
Notre deuxième priorité, ici en France et plus généralement en Europe, c’est la sécurité. La sécurité est logiquement la première préoccupation des Français en pareille circonstance. Cette préoccupation, cette peur disons-le, est d’autant plus légitime que la France est, avec 59 réacteurs, davantage nucléarisée que le Japon. Au sein de l’Union européenne, on compte plus de 150 réacteurs, 153 exactement.
Certes la France n’est pas située dans une région du monde aussi soumise aux risques sismiques que le Japon. Mais comme l’a fort bien souligné Madame Kosciuscko-Morizet, le Japon qui était préparé aux risques de séisme, n’avait pas envisagé les conséquences d’un tsunami, qui est pourtant une conséquence directe du tremblement de terre. Le propre des accidents nucléaires c’est de se produire après un enchaînement de dysfonctionnements ou de risques dont la combinaison était imprévue ou inenvisagée jusqu’alors.
Le rapport de l’Autorité de Sûreté Nucléaire de 2009 pointait des dysfonctionnements dans 34 réacteurs français, dont plusieurs sur les circuits de refroidissement, c'est-à-dire exactement par là où est arrivé la tragédie japonaise. On sait aussi que la centrale nucléaire du Blayais en Gironde est très vulnérable au risque d’inondation, comme l’a montré la tempête de 1999. Vous comprendrez Monsieur le Ministre d’Etat que nous ne puissions pas nous contenter de la réponse de votre collègue, ministre de l’environnement, qui s’est contenté de dire qu’il n’y avait pas eu de problème lors de la tempête Xynthia. Elle a juste oublié de préciser que la tempête Xynthia avait d’abord touché les départements de Loire-Atlantique, de Vendée et de Charente-Maritime, c'est-à-dire beaucoup plus au Nord que la Gironde où est située la centrale du Blayais.
Nous nous souvenons aussi du grave incident survenu à la centrale de Tricastin en 2008, dans le sud de la France. Face à de telles interrogations, les Français ne peuvent pas se contenter du déni comme dirait non pas un écologiste, mais l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin,
Face à de telles légitimes inquiétudes, les Français ne peuvent plus supporter les propos de certains responsables de l’UMP. Puisque le premier ministre en a appelé à la retenue et à la responsabilité, il est grand temps de faire cesser les propos indécents entendus ces derniers jours dans la bouche de M. Guaino qui s’est réjoui – oui il s’est réjoui – des perspectives commerciales que cette catastrophe ouvrait au nucléaire français plus sûr à ses yeux. Oui, vous avez bien entendu, mes chers collègues, M. Guaino, éminent conseiller du Président de la République parle de perspectives commerciales en ces heures noires.
M. Daubresse, membre de notre Assemblée et par ailleurs porte-parole national de l’UMP a également déclaré hier – je cite : « je crois toujours que le progrès technique peut triompher des catastrophes naturelles, même les pires ». i tel est le message que M. Daubresse souhaite envoyer au peuple japonais, c’est tout simplement indécent.
J’avoue que nous avons également été choqués par les propos du Premier Ministre, répétés ensuite par la ministre de l’environnement lorsqu’il a parlé très tranquillement du « retour d’expérience ». Ainsi le drame vécu par le Japon pourrait être ravalé au rang d’expériences dont on pourrait à l’avenir tirer profit. C’est au mieux de l’irresponsabilité au prie du cynisme dont j’espère qu’il ne caractérisera pas le prochain conseil européen.
Il y a encore quelques semaines toutes ces personnes auraient traités avec mépris du risque nucléaire lorsque les écologistes lorsque nous parlions de la sortie du nucléaire. Ils nous auraient pas hésité à nous traiter d’irresponsables - où est aujourd’hui l’esprit de responsabilité aujourd’hui ? Les Français jugeront.
Plutôt que ces propos pour le moins légers, nous souhaitons des décisions claires et franches. La meilleure garantie pour la sécurité, qui est encore une fois, la priorité des priorités, la meilleure garantie c’est la transparence et les expertises contradictoires. Il faut mettre fin à la culture du secret, au culte du secret devrais-je dire, qui a toujours caractérisé la filière nucléaire, en France comme au Japon d’ailleurs.
C’est pourquoi nous demandons que notre Assemblée décide sans tarder la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’état des centrales nucléaires françaises dont on sait que plusieurs, âgées de plus de 30 ans, sont en fin de vie.
Nous demandons également que l’Union européenne se saisisse de cette terrible question en décrétant un moratoire immédiat sur toute construction en cours ou programmée de centrales nucléaires en Europe. En effet, en Europe, comme ailleurs, la décisions ne peut se limiter à un Etat seul dans la mesure où le risque peut ensuite porter bien au-delà des frontières d’un Etat. On pense notamment au projet de centrales nucléaires en Italie où les risques sismiques sont pourtant particulièrement forts. Or, un problème dans une centrale nucléaire en Italie toucherait directement une grande partie de la France.
Nous vous demandons, Monsieur le ministre, et surtout aux 27 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, de faire preuve sur ce tragique sujet d’esprit de responsabilité. Soyez à la hauteur de l’enjeu que cette catastrophe nucléaire pose à la France et à l’Europe.
Bonsoir Marc
"Soyez à la hauteur de l'enjeu que cette catastrophe nucléaire pose à la France et à l'Europe" Cela me choque, n'est ce pas de l'égoisme bien français de penser à soi et à l'Europe pour se donner bonne conscience quand les japonais sont touchés cruellement. Pour moi cela aussi c'est de l'indécence politique. Bien sûr qu'il faut relancer le débat sur le nucléaire mais attendons un peu pour le faire tout de même par respect pour les japonais.
Bon week-end à toi.
Rédigé par : Eglantine | 18 mars 2011 à 20:01