Vendredi 28 mars, au local de rétention administrative de Cergy où j'interviens comme bénévole d'une organisation d'aide à l'exercice des droits, est retenu monsieur N.., originaire de la République Démocratique du Congo. M. N.. vit en France depuis plus de 10 ans, a été débouté de sa demande d'asile (comme 80% des demandeurs en France); il est père d'un enfant de 6 ans 1/2 né en France et scolarisé ici, il était en train d'accomplir les démarches pour obtenir une autorisation de travail (un étranger a besoin d'une autorisation pour travailler) qui lui permettrait de donner suite à la promesse d'embauche qu'un employeur lui a proposé.
M. N.. est sous le coup d'une "obligation de quitter le territoire français" (OQTF) délivrée en janvier. Il avait un mois pour repartir en RDC où il était fonctionnaire mais où il a été emprisonné après avoir participé à une manifestation syndicale pour demander une augmentation de salaire. Mais il n'est pas reparti dans ce pays qu'il a fui début 2004 et où il n'était plus en sécurité. Et il a déposé, dans les délais, un recours en annulation de l'arrêté du préfet du Val d'Oise qui prétend le renvoyer en RDC : il ne peut être expulsé tant que le juge administratif ne s'est pas prononcé, l'audience, ici, se tient généralement dans les quatre à six mois de la demande. Le temps aussi de constituer un dossier correctement documenté.
Deux semaines auparavant, le 14 mars, une circulaire aux préfets (1) du ministre de l'intérieur qualifiait de "résultats encourageants" le nombre des "éloignements forcés" en 2013, "son plus haut niveau depuis 2006" : M. Valls se fait gloire d'avoir expulsé plus de non-français que ses prédécesseurs, MM. Besson, Hortefeux ou Guéant. Cette circulaire demande au préfets de continuer dans cette voie et donne des consignes pour contourner les protections encore apportées par la loi française - pourtant bien rognées par les gouvernements précédents sous M. Sarkozy.
Il n'est bien sûr pas possible d'attribuer avec certitude à cette circulaire le zèle des policiers qui ont interpellé sur la voie publique M. N.. jeudi soir, qui l'ont emmené au commissariat et, alors qu'il n'est accusé d'aucun délit, l'y ont gardé jusqu'au lendemain matin sous prétexte, comme l'y autorise une récente modification de la loi (2) par M.Valls, de "retenue pour vérification du droit au séjour".
Il n'est pas absolument certain, non plus, que cette circulaire de M.Valls soit la cause du zèle du Préfet du Val d'Oise qui, constatant que M. N.. était sous le coup d'une OQTF qu'il n'a pas exécutée dans le délai imparti, prend un arrêté de placement en rétention en vue de finaliser l'expulsion. Alors même que l'identité et le domicile de M. N.. étaient connus et établis, ce qui permet une assignation à résidence plutôt que l'enfermement.
Et comme le recours devant le tribunal administratif qu'a déposé M. N.. est suspensif de la mesure d'expulsion, la préfecture fait jouer une des dispositions scélérates de la loi (3) et prévient le tribunal administratif, où le dossier était en attente de la clôture de l'instruction pour une future audience, du placement en rétention de M. N.. : c'est une procédure d'urgence absolue qui est dès lors mise en oeuvre, aux fins d'exécution rapide de l'expulsion, procédure qui n'est plus collégiale mais où siège un juge unique qui est tenu de prendre une décision dans les 72 heures de la saisine.
Lundi matin, le tribunal administratif de Cergy annule les deux arrêtés préfectoraux, celui portant obligation à M. N.. de quitter le territoire, et celui plaçant M. N.. en rétention. Il a fallu l'intervention d'un juge pour condamner ces mesures illégales du préfet, pourtant bien dans la ligne de la récente circulaire Valls.
Et la légende dont je parle dans le titre ?
Je lis dans Le Monde daté d'aujourd'hui, page 3, sous le titre "Sécurité et immigration : un bilan mitigé à l'intérieur", dans un papier censé présenter un bilan du passage de M.Valls au ministère de l'intérieur, ceci : "la mesure la plus emblématique est sans doute la circulaire sur la régularisation. (...) Le texte qu'il a adressé aux préfets en novembre 2012 est libéral. Il ouvre la voie à la régularisation quasi automatique de toute personne sans papiers qui justifierait de cinq ans de présence en France et de la scolarisation d'au moins un enfant pendant trois ans."
Oui, vous avez bien lu : la "régularisation quasi automatique"…
Quant à la circulaire du 14 mars 2014 dont je fais état plus haut, elle est ignorée. Elle ne va sans doute pas dans le sens des éléments de langage peut-être communiqués au Monde par les services de communication du nouveau Premier ministre, M.Valls.
(1) Manuel Valls, Lutte contre l'immigration irrégulière - priorités 2014, circulaire aux préfets, INTK1400684C du 14 mars 2014 (non publiée sur http://circulaire.legifrance.gouv.fr)
(2) Loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2013 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, INTX1230293L, JORF n° 1 du 1er janvier 2013 page 48, texte n° 4
(3) Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, "CESEDA", article L.512-1, III.
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