Autant l'avouer d'emblée : la prose, qui m'est vite parue prétentieuse, de Michel Onfray n'est pas ma tasse de thé.
Pourtant, le titre d'un de ses ouvrages m'avait vivement intéressé : quelqu'un capable d'écrire un Traité d'athéologie ne peut pas être complètement mauvais, croyais-je. La lecture - inachevée, je le confesse - de ce pensum m'a quelque peu fait revenir sur l'appréciation première.
Dans Le Monde daté 9-10 janvier, sous le titre "Le catéchisme postmoderne", Michel Onfray se répand comme d'habitude en une série de diatribes aussi emberlificotées que définitives. Ses cibles ont beau être, souvent, les miennes, je ne parviens décidément pas à accepter cette écriture à la mitrailleuse lourde.
Sa chronique de ce jour-là débute par la phrase suivante, qui introduit et donne le ton du reste : "Notre civilisation politiquement correcte diffuse, par le biais des médias légitimes financés par le marché, une pensée unique contre laquelle un intellectuel digne de ce nom ne saurait aller".
Constatons d'abord que cette "pensée unique" n'est définie que par le fait qu'un intellectuel digne de ce nom ne saurait aller contre elle. Cette affirmation est, on le comprend bien (enfin, "bien" est peut-être excessif), à lire sur le mode ironique, c'est-à-dire qu'Onfray pense en réalité l'inverse : il est, bien évidemment, contre la pensée unique, lui, l'intellectuel Michel Onfray. C'est pourquoi il écrit qu'un intellectuel digne de ce nom ne peut pas être contre. OK ? Ce n'est pas que, lui, Michel Onfray, ne soit pas un intellectuel digne de ce nom (sa modestie dût-elle en souffrir), mais c'était juste pour rire. C'est de l'ironie. C'est la civilisation politiquement correcte, voyons, pas Michel Onfray, qui veut qu'un intellectuel digne de ce nom ne saurait aller contre la pensée unique. OK ?
Reste à définir ce qu'est une civilisation politiquement correcte. Enfin, non, il n'y a rien à définir, ça se comprend d'instinct, "politiquement correct" signifie, à l'évidence, quelque chose comme : conforme au discours dominant, mouliné par la censure, sans imagination ni audace, etc.. C'est en tous cas ce que je crois comprendre à chaque fois que je lis cette expression, utilisée comme un qualificatif dévalorisant. Par quel glissement sémantique le terme "correct" (qui, a priori, devrait induire un jugement positif) a-t-il pris, accolé au mot "politiquement", une connotation négative ? C'est un des miracles de l'usage intensif de l'ironie. Vous aurez aussi relevé que, ce que l'auteur qualifie ainsi de "politiquement correcte", ce n'est pas la parole d'un leader d'opinion, ou la ligne éditoriale d'un organe de presse, ni même, carrément, le fonctionnement de nos institutions, voire - au diable les demi-mesures - la société occidentale elle-même, non, c'est "la civilisation" ; Michel Onfray ne s'attaque pas à du petit et du sans-grade, tout de même.
Bon. Alors, cette civilisation politiquement correcte, qu'est-ce qu'elle fait, qui irrite à ce point Michel Onfray ? Elle diffuse ! Et, précisément, ce qu'elle diffuse, c'est une pensée unique. En plus, elle fait ça d'une manière scandaleuse : "par le biais des médias légitimes financés par le marché". Fichtre ! Par des médias légitimes, vous vous rendez compte ? C'est quoi, au fait, les médias légitimes ? Ceux qui ont le droit d'être publiés ? Ben, c'est l'ensemble des journaux que vous pouvez acheter, et même les gratuits, c'est la radio, la télé, internet (sauf en Chine, en Tunisie..), n'échappent à cette définition que les médias interdits par la loi (j'ai du mal à trouver des exemples ; certaines revues pédopornographiques ? des ouvrages condamnés pour diffusion d'appels à la haine raciale ? Ou alors les sites de téléchargement pirates, peut-être, bien que plutôt illicites ou illégaux, si on veut, mais "illégitimes" ?). Pour échapper à la "pensée unique", nous voilà donc condamnés à ne plus user que de médias illégitimes, les seuls que Michel Onfray semble ainsi légitimer. Trop fort. En outre, circonstance particulièrement aggravante, ces pernicieux médias légitimes qui diffusent la pensée unique sont financés par le marché. Ils devraient sûrement, pour échapper à la condamnation de Michel Onfray, être financés autrement que par le marché. Dommage toutefois que l'auteur se soit arrêté en chemin et n'ait pas indiqué comment devraient être financés les médias qui ne diffusent pas la pensée unique.
J'ai déjà été trop long, navré, avec ça je n'aurai évoqué que la première phrase de l'article d'Onfray. La suite de la chronique étant toutefois de la même eau, on peut passer. Sauf si vous recherchez des exemples d'utilisation de caricatures pour étayer des amalgames : ça peut servir dans une dissertation au bac.
Quant aux causes qu'il semble vouloir défendre, et en particulier celle de la nécessité, plus que jamais, de la préservation d'une pensée critique, elles ne sortent pas grandies de tels exercices de style. Enfin, c'est mon avis...
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