Dans la série "si la France était un Etat de droit, ça se saurait", il convient de relever un récent épisode, édifiant.
Le tribunal correctionnel de Bobigny a, le 10 décembre dernier, condamné des policiers coupables de "dénonciation calomnieuse" (ils ont accusé le conducteur d'un véhicule en fuite d'avoir renversé volontairement un policier - tentative d’homicide volontaire aggravé, punie de la réclusion criminelle à perpétuité -, alors que ce sont des collègues d'une seconde voiture de police qui étaient à l'origine de l'accident), de "faux en écritures" (les policiers se sont mis d'accord entre eux pour établir un faux procès-verbal) et de "violences aggravées" (la victime a en outre été tabassée après son interpellation : cinq jours d'incapacité totale de travail).
Pour bien saisir la suite, il convient de rappeler que, rien que pour le faux en écritures, les policiers coupables risquaient 15 ans de réclusion criminelle et 225 000 euros d'amende :
Code pénal Partie législative
LIVRE IV : Des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique.
TITRE IV : Des atteintes à la confiance publique.
CHAPITRE Ier : Des faux.
Article 441-4
Le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l'autorité publique est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende.
L'usage du faux mentionné à l'alinéa qui précède est puni des mêmes peines.
Les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et à 225 000 euros d'amende lorsque le faux ou l'usage de faux est commis par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant dans l'exercice de ses fonctions ou de sa mission.
Et donc le parquet a requis à leur encontre des peines... de 3 à 6 mois de prison avec sursis.
(Rappel : Le parquet est soumis hiérarchiquement au pouvoir exécutif. Le parquet, c'est le "ministère public", c'est le représentant de l'intérêt public, qui défend la société : ici, les voyous sont des policiers; on voit combien le parquet, dépendant du ministre, est sévère contre cette catégorie de délinquants…)
Le tribunal n'a toutefois pas suivi l'admirable mansuétude du parquet, puisqu'il a prononcé des peines allant de 6 mois à un an ferme (on est loin des quinze ans, mais, bon..) ; il a aussi refusé la non inscription au casier judiciaire de cette condamnation pour cinq des policiers véreux, qui seront donc certainement révoqués.
Les policiers, mais aussi le parquet (qui est censé défendre la société) ont fait appel de ces condamnations jugées... trop sévères.
Comme l'écrit Maître Eolas, en sa grande sagesse et son dernier post : "Je suis naturellement solidaire de ces policiers face à l’acharnement de la justice à leur encontre. Si on ne peut plus accuser un innocent d’un crime passible de la perpétuité pour couvrir les conneries d’un collègue, où va la République ?"
Certains syndicats de policiers n'ont pas admis ce jugement. Ainsi, dans un communiqué de "Synergie officiers", on peut lire ces délicates appréciations sur le jugement en question :
"Ce tribunal est connu pour receler les pires idéologues de la culture de l’excuse […]. La peine prononcée à l’encontre de nos collègues est donc avant tout une décision syndicale (pour ne pas dire politique…) déguisée en acte juridictionnel. […].
"SYNERGIE OFFICIERS regrette que l’extraordinaire dureté d’une telle décision rende la sanction totalement inintelligible. Au delà des sept policiers de Bobigny qui ont fauté, ce sont bel et bien tous les policiers de France qui prendront ce verdit incroyable comme un camouflet à leur encontre et un nouvel appel à la haine venant de magistrats qui, une fois de plus, ont choisi d’affirmer que pour eux, l’ennemi à combattre par tous les moyens (y compris les plus vils…) est bel et bien le « flic » et non pas le criminel !"
Bon ; on met en regard l'article 434-25 du Code pénal ?
Code pénal Partie législative
LIVRE IV : Des crimes et délits contre la nation, l'Etat et la paix publique.
TITRE III : Des atteintes à l'autorité de l'Etat.
CHAPITRE IV : Des atteintes à l'action de justice
Section 3 : Des atteintes à l'autorité de la justice
Paragraphe 1 : Des atteintes au respect dû à la justice.
Article 434-25
Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.
[…]
On attend que le parquet se saisisse…
Et quand des policiers, certains en uniforme, armés, viennent manifester sirènes hurlantes devant le palais de justice où le jugement en cause a été rendu, ne chercheraient-ils pas à "jeter le discrédit sur une décision juridictionnelle" ? Et je n'ose parler de "trouble à l'ordre public", ni ne me permettrais de me demander si une telle manifestation publique "pour la légalité du faux en écritures" a bien été déclarée et autorisée...
Enfin, pour finir d'illustrer la haute importance accordée sous nos cieux à l'indépendance de la justice, il suffit de constater que la procureure de Bobigny s'est fendue d'un communiqué de presse selon lequel cet appel est "nécessaire […] tant au regard des faits que de la personnalité des policiers, qui n'avaient naturellement [sic!] jamais été condamnés, qu'en considération de la jurisprudence habituelle [re-sic!] du tribunal", que le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est déclaré "très étonné de la décision du tribunal", et que le ministre de l'intérieur lui-même (individu bien connu des services de police et de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris) a déclaré "je me réjouis de la décision du parquet de faire appel de ce jugement", qui peut "légitimement apparaître […] comme disproportionné".
Et, bien sûr, cinq parlementaires UMP de Seine-Saint-Denis, dont le député Éric Raoult, ont apporté leur «soutien» aux policiers et au ministre.
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