Proroger la prorogation d'une modification !
Au Journal officiel de la République française de ce matin, un "Arrêté du 14 novembre 2008 portant reconduction des dispositions sur la répartition entre les départements d'outre-mer du contingent d'exportation de rhum traditionnel - NOR : BCFD0829422A".
Ne soyez pas déçus, mais mon objectif n'est pas ici de détailler le mécanisme de ces dérogations fiscales qui permettent l'exportation vers la métropole de contingents d'alcools locaux en exemption de soulte.
Je voudrais simplement décrire ce que dit un texte réglementaire interministériel, et comment il le dit...
Celui-ci, donc, malgré son titre alléchant, se réduit à ceci :
Les dispositions prévues dans l'arrêté du 23 décembre 2005 susvisé sont prorogées jusqu'au 31 décembre 2011.»
(l'article 2 précise qu'il entre en vigueur au 1er janvier 2009, et l'article 3 est l'article exécutoire, qui charge trois administrations de son exécution et qui prévoit sa publication au JO).
(on peut aussi relever que cet arrêté est signé de deux ministres et d'un secrétaire d'Etat, mais par délégation seulement - et encore, pour les deux ministres, le fonctionnaire qui a la délégation était "empêché", et c'en est un autre, de rang inférieur, qui a signé par délégation du précédent).
Mais quelles sont ces dispositions qui sont ainsi prorogées ?
C'est pourtant écrit : celles de "l'arrêté du 23 décembre 2005 susvisé" ; reportons-nous y donc :
"Arrêté du 23 décembre 2005 portant reconduction des dispositions sur la répartition entre les départements d'outre-mer du contingent d'exportation de rhum traditionnel - NOR: BUDD0570039A"
Les dispositions prévues dans l'arrêté du 31 décembre 1999 susvisé sont prorogées jusqu'au 31 décembre 2008.»
(les articles 2 et 3 sont analogues à ceux de l'arrêté du 16 décembre cité plus haut)
Bon.
On avance !
Au passage, d'ailleurs, si on lit bien ce qui est écrit, on constate que c'est le fait que "les dispositions prévues dans l'arrêté du 31 décembre 1999 susvisé sont prorogées jusqu'au 31 décembre 2008" qui est prorogé jusqu'au 31 décembre 2011.
Ce qui est tout de même curieux.
Mais, à présent, quelles sont donc les dispositions prévues dans l'arrêté (prorogé) du 31 décembre 1999 qui étaient prorogées ? Allons y voir.
"Arrêté du 31 décembre 1999 portant répartition entre les départements d'outre-mer du contingent d'exportation de rhum traditionnel - NOR: ECOD9970023A"
Aaaah !
"Art. 1er. - A la section I du chapitre Ier, titre III de la première partie du livre Ier de l'annexe IV au code général des impôts, l'article 52 ter est rédigé comme suit :
(l'article 2 est l'article exécutoire).
Autrement dit, ce qui est prorogé c'est la modification de l'article 52 ter du CGI....
Et après l'échéance fixée par cette prorogation, il sera rédigé comment, cet article 52 ter ? Il reviendra à sa formulation antérieure à sa (ses...) modification(s) ?
Absurde, évidemment
D'autant plus que, en revisitant ces textes passionnants, je me suis rendu compte - mais ce n'est pas immédiatement perceptible sur Légifrance, si même ça l'est - qu'entre temps avaient été publiés :
- un "Arrêté du 31 décembre 2002 portant reconduction des dispositions sur la répartition entre les départements d'outre-mer du contingent d'exportation de rhum traditionnel - NOR: BUDD0270062A"
- un "Arrêté du 16 juillet 2004 portant reconduction des dispositions sur la répartition entre les départements d'outre-mer du contingent d'exportation de rhum traditionnel - NOR: ECOD0470019A"
Bien sûr, même si les "dispositions" littérales de ces textes spécifient explicitement autre chose, ce dont il est question c'est, comme l'indiquent les titres des multiples arrêtés, la prorogation des répartitions fixées pour les contingents en cause.
Alors, une simple question :
pour quelle raison ces arrêtés ne prévoient-t-ils pas, tout simplement, que :
"Dans la première phrase de l'article 52 ter du code général des impôts, les mots "jusqu'au 31 décembre 2008" sont remplacés par "jusqu'au 31 décembre 2011" ?
Une telle rédaction du dernier en date des arrêtés modificateurs suppose évidemment que les précédents aient été eux-même rédigés selon le même modèle.
***
On aura donc reconnues ici les règles 10 et 11 de l'opacification du droit :
- la confusion est mieux réussie si l'on fait porter sur une disposition formelle un amendement qui ne concerne en réalité qu'une partie du texte de cette disposition ;
- il est toujours plus efficace, pour augmenter l'opacité d'un texte, de proroger une prorogation (ou de modifier un modification) plutôt que de proroger (ou de modifier) la mesure réellement concernée.
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