par Jacqueline Lorthiois
La question de l'emploi reste la première préoccupation des français. C'est aussi sur notre territoire l'un des plus gros échecs du président sortant de notre agglomération.
Du « bling-bling » au plouf...
Au cours de ses précédents mandats, l'essentiel de l'énergie du maire de Cergy en matière de développement économique a été centrée sur des actions de communication. Il fallait que Cergy-Pontoise possède en effet une « IMAGE » de ville dynamique, branchée, afin de capturer dans ses filets des gros poissons censés être attirés par ce qui brille : des grandes entreprises, voire en cas de pêche espérée miraculeuse : des pointures internationales (merveille, un chef d'entreprise asiatique pose sur la photo d'un des derniers bulletins municipaux)...
D'où le slogan tapageur « Energies Ouest » qui laisse quelque peu perplexe. Le premier mot semble vouloir indiquer que Cergy-Pontoise « ça bou-ou-ouge », comme dans les salles de gym... Et le deuxième terme exprime le secret espoir de récupérer des retombées du pôle économique le plus dense et le plus riche de France à l'ouest parisien, à quelques encablures de là : la Défense. « Energies Ouest » a beau être apposé sur tous les bus et panneaux publicitaires, le slogan (coût de cette opération «communicante» ?) est parfaitement incompréhensible pour l'habitant moyen... Et constitue-t-il l'appât suprême pour les grosses boîtes que la ville est censée capturer ? Rien n'est moins sûr... Les cergyssois «historiques» se souviennent non sans un ricanement d'une publicité antérieure avec renard sur canapé censé représenter l'intelligence (rusée ?) de l'agglomération qui avait fait... un gros plouf. C'était d'ailleurs à la même époque que Renault avait inventé une voiture en forme de poire... qui était restée à moisir chez les concessionnaires.
Souvenir, souvenirs...
Pourquoi cette obsession de la grosse entreprise qui va sauver la mise de l'emploi de Cergy-Pontoise ? On se souvient de l'arrivée fracassante de Spie-Batignolles - à l'époque la grande rivale de Bouygues - qui avait soi-disant apporté dans la corbeille 3 000 emplois. Mais en réalité, il s'agissait du regroupement de 5 sites dispersés en Ile-de-France... qui représentaient au total 5 000 postes de travail. Donc en réalité, pas de quoi pousser de grands cocoricos ni de justifier le tapis rouge qui avait été déroulé à l'époque à grands renforts de subventions publiques : ce n'était pas 3 000 créations mais leur déplacement, avec la suppression de 2 000 postes au passage au niveau régional. Le résultat immédiat pour les cergyssois a été l'apparition des premiers gros bouchons sur l'autoroute A 15 en début et en fin de journée, car les employés avaient conservé leur logement ailleurs et 3 000 usagers supplémentaires, c'était trop pour nos infrastructures routières et ferroviaires. Et maintenant, c'est un immense espace privé, sur le plus bel endroit de Cergy, où quelques entreprises se battent en duel dans un magnifique parc vide vide, interdit aux riverains.
On peut aussi se souvenir de l'arrivée triomphale de BP volée sans scrupule à Nanterre, installée dans un superbe immeuble taillé sur mesure puis partie à la cloche de bois après avoir empoché les subventions publiques... Un bâtiment vide devenu ensuite friche industrielle, réhabilité à grands frais après plusieurs années d'abandon pour installer un nouvel hôtel de ville. L'ardoise globale a dû être salée!! Plus loin encore, qui se souvient du géant Gargantua, censé être le clou d'un extraordinaire parc d' « attraction » qui portait le nom magique de MIRAPOLIS... Devenu mirage dans un désert, objet de répulsion quelques semaines après l'ouverture du parc Astérix... On se souvient de l'énorme tête vandalisée qui a dominé de son sourire figé pendant des années les lignes haute tension du plateau désolé de Puiseux, avec quelques restes des stands témoins d'une ancienne spendeur.
Une fuite en avant dans la grandeur
Les projets actuels du maire sortant de Cergy ne semblent guère tirer les leçons du passé de la politique « bling bling » décrite plus haut. En témoigne la perspective de doublement des 3 Fontaines qui nous pend au nez, porté par le fonds de pension britannique Hammerson qui gère maintenant le centre commercial et entend bien améliorer la rentabilité de ses affaires… Et c’est une fuite en avant dans la «grandeur» : les 3 Fontaines se prennent-elles pour les grandes eaux de Versailles ? On prétend que l’extension correspondrait à des besoins qu’il faudrait satisfaire à tout prix, sous peine de voir s’évader des mannes financières d’habitants vers d’autres territoires mieux achalandés… Il vaudrait mieux s’emparer du projet qu’être volé. Mais c’est oublier que tout voleur finit lui-même par être détroussé à son tour.
Là encore, l’histoire nous a montré qu’on ne saurait mettre deux coqs dans une même basse-cour (fermeture brutale de Super-M quelques semaines après l’arrivée d’Auchan…) ou que les moyens financiers de la population locale (le fameux « indice de richesse vive » « de la zone de chalandise ») ne sont pas à la hauteur des appétits des magasins « haut de gamme »… Qu’on se rappelle l’arrivée des grands magasins installés à grands renforts de publicité aux 3 Fontaines qui ont fini par rendre leur tablier : la Samaritaine, puis le BHV… Et plus encore « Habitat » censé être l’enseigne-phare tirant vers le haut le centre commercial Art de Vivre à Eragny… Remplacé par une CAMIF à bout de souffle qui a fermé à son tour. (Est-ce un hasard si Ikéa s’est récemment installé en vallée de Montmorency, avec une population plus nombreuse - 300 000 habitants- et plus aisée ??? ). Tout le monde sait que l’on observe un suréquipement commercial dans le Val d’Oise avec toutes ces surfaces dédiées à l’équipement de la maison, à l’habillement, au bricolage… étalées le long de l’axe N14-A15… Et que nos porte-monnaie ne sont pas élastiques. Pas plus que nos estomacs ou nos penderies ne sont extensibles. Faut-il en remettre une louche au moment où l’on observe une désaffection pour ces usines à vendre, qui s’exprime par un temps de plus en plus court pour faire ses courses : 1h ½ autrefois, la moitié aujourd’hui. Et le « panier moyen » de la ménagère de moins de 50 ans se réduit, faute d’amélioration de notre pouvoir d’achat. Les grandes enseignes avaient déserté Cergy-Pontoise parce que les populations locales étaient d’un niveau de vie trop faible… Croit-on qu’il s’est amélioré ces dernières années avec la politique gouvernementale de gel des salaires et des retraites ?
Et si on parlait des emplois ?
L’argument « création d’emplois » lié à l’extension des 3 Fontaines est un leurre de plus. Quels emplois, quelle qualité, quelles perspectives de carrière de ce personnel ? Le métier de caissière – pardon, « hôtesse de caisse » est un des plus ingrats qui soit, en tête de liste de ces fameux « travailleurs pauvres »… qui sont d’ailleurs - soit dit en passant- des travailleuses, dans 80% des cas. 30 heures maximum, pour rester performante. Donc une paie inférieure au SMIC, pour des conditions de travail particulièrement pénibles (un espace de travail étroit qui ne dépasse pas le m2…, des garde-chiourmes qui surveillent la moindre baisse d’attention.., des cadences ultra-rapides, des clients pressés et peu aimables, des horaires de grande amplitude qui obligent des journées à rallonge, une vie hachée, garde d’enfants « atypiques, etc…). Pas étonnant que ça ait chauffé dernièrement chez Carrefour, malgré les obstacles mis pour empêcher la grève.
Et à côté de ces 1 000 mal-emplois créés, combien supprimés ? Des emplois sur les marchés forains de Pontoise ou de Cergy-Saint-Christophe, des petits commerces de proximité qui n’arrivent plus à boucler leurs charges… Et ces emplois-là sont à temps plein, probablement avec des statuts moins précaires, même si le nombre d’heures est bien entendu supérieur… Pour les clients, quelle valeur ajoutée ? Il y a des années que je boycotte les grandes surfaces, pour bénéficier des services des petits commerces : être connue et bien servie, acheter des produits en vrac sans emballage, se faire préparer une viande, se faire porter ses cartons jusqu’à la voiture, éventuellement se faire livrer les courses sans aucun surcoût… J’ai envie de voir vivre la petite place près de chez moi, d’aller à pied chercher mon pain, mon épicerie, mes journaux et mes médicaments.
Quand aux habitants qui feraient leurs courses sur Paris et qu’il s’agirait de faire revenir, ne faudrait-il pas traiter la cause en fermant le robinet, plutôt que d’éponger ?? Les évasions quotidiennes de travailleurs de l’agglomération ont explosé ces dernières années, faute d’une quelconque réflexion sur l’équilibre Habitat-Emploi entre les qualifications des actifs et les postes de travail des entreprises qui s’installent… S’il y avait un taux de travail sur place plus grand, la conciliation serait plus facile entre vie privée, vie familiale et vie de travail. Nos routes, nos RER seraient moins encombrés… Nos poumons aussi. Et nous aurions plus de temps pour profiter des services de notre agglomération. Non seulement fréquenter davantage les galeries de 3 Fontaines, mais aussi les équipements sportifs, les cinémas, les restaus, les parcs et les bois ou les bords de l’Oise… Les clients « évadés » sont d’abord des consommateurs contraints qui ne demanderaient pas mieux que de retrouver leur liberté.
PROPOSITIONS POUR L’AVENIR
Echange gros arbre solitaire contre forêt de boulots
Les emplois, c’est comme les arbres. Une grande entreprise, c’est comme un conifère. C’est grand et ça pousse vite, mais en dessous, le sous-bois se clairsème. Les aiguilles acidifient et appauvrissent le sol qui n’accueille plus ni fleurs, ni taillis. D’accord, ça se voit de loin et l’élu local peut poser devant pour la photo.
Au total, une fois 1 000 emplois, ce n’est jamais qu’un gros arbre dans le paysage. Et s’il y a une tempête, l’arbre se déracine et ça fait un grande trouée au sol… Par contre, si on plante 1 000 petites pousses d’un emploi, à terme, ça peut faire une forêt. Mais ça demande beaucoup plus de travail de terrain, d’identification des besoins des habitants, d’appui à l’installation, d’accompagnement des créateurs : tout un patient travail de fourmi. Et cela suppose aussi des services publics adaptés pour jardiner toute cette vie en promesses : d’où l’idée d’une Maison de l’Emploi et du développement qui puisse fédérer au niveau de l’agglomération de Cergy-Pontoise toutes les institutions existantes pour constituer un lieu propice à l’éclosion des initiatives… Mais c’est lent, c’est chaotique, ça ne se voit pas tout de suite. Une politique de petits pas, à l’inverse des grands pas de géant de feu Mirapolis. Beaucoup plus d’énergie humaine en écoute et en accueil, beaucoup moins de consommation de flux, beaucoup plus de convivialité, beaucoup moins de déplacements polluants, beaucoup moins de fatigue et de temps perdu dans les transports. Et au moins, c’est de la production locale, ces acteurs-là ne s’échapperont pas une fois les subventions empochées et les effets de manche passés.
Ne pas oublier les travailleurs…
Si nous quittons le point de vue des entreprises, pour considérer cette fois l’autre bout de la chaîne, les habitants de Cergy-Pontoise en âge d’activité – ceux qui sont au travail ou qui en recherchent un - la politique mise en œuvre par le maire sortant est également fort contestable. Hélas, il commet la même erreur que bien d’autres : se centrer sur la seule partie émergée de l’iceberg des actifs - les chômeurs- et sur les moyens d’assurer leur insertion. Je suis tout à fait réservée sur une stratégie simpliste qui consiste à demander le plus d’efforts aux plus fragiles. C’est ce que j’ai appelé le « syndrome de Figaro ». On se souvient de la phrase de celui-ci déclarant à son maître : « Aux vertus que l’on exige des domestiques, son excellence connaît-elle beaucoup de maîtres dignes d’être valets ? » Pour parodier cette phrase, aux vertus que l’on exige des chômeurs, des jeunes sans qualification, des femmes seules obligées de retravailler, connaît-on beaucoup d’actifs déjà occupés capables d’atteindre les exigences que l’on réclame à ces demandeurs d’emplois ? Demande–t-on aux personnes en poste de prouver leur « motivation » chaque matin ? D’aller au boulot en chantant ? D’avoir en perspective un « objectif professionnel» clair, décliné en sous-objectifs avec des étapes à franchir ciblées dans le temps ?
Compter sur les seuls chômeurs pour créer leur emploi est à la fois un problème éthique (demander le plus d’effort aux plus faibles) et économique. Quand un demandeur créé son emploi, dans un cas sur 2, il échoue. Dans la moitié des cas restants, il crée seulement son propre poste. Or, c’est au deuxième emploi qu’il y a perspective de développement. Un cas réussi sur 4, pour une énergie considérable… Sans compter les risques de casse humaine grave : les 50% qui se plantent tombent généralement plus bas qu’avant .
Sans vouloir écarter cette stratégie, je préfère privilégier une solution alternative basée sur « un détour productif ». À cette politique cynique qui met les plus fragiles dans les situations les plus exposées, je préfère la méthode GÉDÉON ,, qui constitue un système à double étage. Il s’agit de s’inspirer de l’action d’un personnage de la Bible, le roi Gédéon, dont le royaume était menacé par 3 000 philistins. Il décida de choisir 300 super-guerriers triés sur le volet, à qui il dispensa les meilleurs entraînements et leur offrit les meilleurs chevaux et les armes les plus perfectionnées. Et ces 300 hommes aguerris battirent les 3 000 philistins.
Il y a parmi les travailleurs occupés de notre agglomération des citoyens qui ont un haut niveau de conscience sociale, un carnet d’adresses, des compétences et une reconnaissance professionnelle. Les innovations sociales naissent de citoyens « insérés » qui tentent de mettre en œuvre des solutions pour leur territoire. C’est ainsi que Raymonde MARCHADOUR (issue des parents d’élèves et de groupes femmes) et son mari René (militant CFDT) soucieux de répondre aux questions d’exclusion, ont créé le Maillon, une association qui s’occupe chaque année de plusieurs centaines de personnes en difficulté (et dont notre maire voudrait maintenant s’attribuer la paternité). C’est ainsi que Patrice et Charo SAUVAGE et moi-même avons créé en 1991 l’association ALICE qui a accompagné 600 chômeurs en 2007. Je crois à l’importance des germes d’initiatives portées par des entrepreneurs issus de la société civile et aux « entreprises collectives » qui peuvent en naître. C’est ce qu’on appelle l’économie solidaire. A la différence du chômeur qui créé son auto-emploi, ces porteurs de projets mieux armés créent des activités plus grosses à la naissance (6 à 7 emplois en moyenne) et qui durent plus longtemps. Elles peuvent tirer par le haut en les embauchant d’autres personnes, moins qualifiées et moins armées sur le plan professionnel. De même, en matière de services à la personne, une association qui embauche des aides à domicile fournit beaucoup plus d’emplois et moins précaires à ses salariés que la personne âgée qui embauche une aide rémunérée par des chèques emploi-service et à sa mort, laisse son employée en rade.
Pour reprendre l’exemple précédent de la forêt, il faut une diversité biologique des types d’activités. Un tissu économique est plus solide, s’il est composé d’entreprises de taille diverses, portées par plusieurs sortes d’entrepreneurs. Et surtout, il faut entretenir ce paysage vivant en veillant à son renouvellement. En travaillant exclusivement sur les deux extrémités de la chaîne, sans veiller à la richesse des situations intermédiaires, on se focalise dans la grande entreprise située l’économie pure et très peu enracinée localement (exemple typique : le fonds de pension britannique qui gère les 3 Fontaines..) et de l’autre, on cantonne les personnes les plus éloignées de l’emploi dans l’aide sociale, sans parvenir à les faire accéder au bout du parcours d’insertion, avec le risque que ces deux mondes ne se rencontrent jamais. Le développement durable, c’est justement l’intersection du social et de l’économie.
L’emploi, c’est d’abord une relation, une rencontre heureuse entre des entrepreneurs et une main-d’œuvre sur un territoire. Les stratégies doivent donc être plurielles, complexes et à long terme. Le contraire d’une politique à courte vue, centrée sur les effets d’image. Une forêt de pousses diversifiées, c’est tellement plus écologique, tellement plus durable.
La politique vert espérance contre la politique « bling-bling », mon choix est fait !
Jacqueline LORTHIOIS
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C’est pourquoi je suis fort réservée sur la solution du micro-crédit « ADIE » que veut généraliser M. Sibieude. Cet organisme réclame des cautions solidaires à tout l’environnement du créateur, qui doivent rembourser pendant des années en cas d’échec. Alors que les outils financiers solidaires effacent la dette, soucieux de ne pas enfoncer davantage celui qui cesse son activité.
Ce nom a été donné par un spécialiste du développement local Hugues de Varine, avec qui j’ai longtemps travaillé.
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